Plantes : ressent-elles l’environnement évoluent?

21 août 2025

Une feuille ne crie pas, une racine ne fuit pas. Pourtant, les plantes n’ignorent rien de ce qui se joue autour d’elles. Certaines, surprises par un insecte glouton, produisent des molécules d’alerte qui, portées par le vent, préviennent leurs voisines. D’autres, soumises à un simple changement de lumière ou d’humidité, modifient subtilement leur croissance, ajustant leur silhouette à la moindre variation. On croyait les plantes figées ; elles s’adaptent, réagissent, parfois même anticipent.

Au laboratoire, les expériences se multiplient : des racines contournent un obstacle, bifurquent vers une source de nutriments, tout cela sans tige ni feuille pour les guider. Ces comportements, qu’on croyait réservés au monde animal, chamboulent nos certitudes sur la perception et l’interaction des plantes avec leur environnement. Les vieux dogmes vacillent, la frontière entre le végétal et l’animal se fissure.

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Plantes et environnement : un dialogue discret mais fascinant

La solitude n’existe pas au pays des plantes. Tout, chez elles, dépend d’un ballet d’influences multiples, qui échappent presque toujours à l’œil nu. Catherine Lenne, Michel Thellier, Bruno Moulia ou Jacques Tassin s’accordent à dire que les échanges entre végétaux sont loin d’être une fable. Ce sont des stratégies fines, concoctées à force de signaux en tout genre : substances volatiles, impulsions électriques, frôlements ou réactions biochimiques. Dans les profondeurs du sol, l’activité est permanente et insoupçonnée.

Ce sont notamment les systèmes racinaires qui intriguent : grâce aux travaux du CNRS ou de l’université de Tel Aviv dirigés par Lilach Hadany, on sait désormais que les plantes partagent et répartissent leur accès aux ressources selon leurs voisines. Dans les bois, les arbres, eux, profitent d’un réseau souterrain d’une rare sophistication, le « wood wide web », qui transporte alertes et nutriments à travers de multiples espèces. Ce maillage gomme la compétition frontale et encourage la coopération, changeant notre regard sur la vie collective des végétaux.

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Mais l’échange ne s’arrête pas dans l’obscurité du sol. En surface, Richard Karban et Ian Baldwin ont démontré que certaines plantes menacées par un animal libèrent dans l’air des substances volatiles, détectées par celles à proximité. Cette mise en alerte accélère la mobilisation des défenses chez les voisines, révélant l’existence d’un système d’information sophistiqué largement reconnu aujourd’hui sur plusieurs continents. Plus qu’un simple réflexe, cette solidarité végétale s’impose comme une arme de survie et d’évolution.

Ce flux constant de données façonne les paysages, réinvente les communautés végétales et fragilise les barrières que l’on dressait jadis entre mondes animal et végétal. Les analyses de Jacques Tassin ou Stefano Mancuso rappellent que ce dialogue ne sculpte pas seulement des adaptations individuelles mais recompose constamment l’équilibre des écosystèmes.

Comment les plantes perçoivent-elles ce qui les entoure ?

Privées de cerveau ou de nerfs comparables à ceux des animaux, les plantes suscitent l’étonnement. Pourtant, la biologie végétale met à jour toute une batterie de réponses à des stimulations de toutes sortes : lumière, gravité, pression, substances chimiques ou signaux électriques. De la racine à la feuille, chaque recoin de la plante intègre des capteurs capables de sentir des variations infimes et de coordonner une réaction souvent surprenante.

Les recherches menées par Stefano Mancuso et son équipe, mais aussi par divers laboratoires du CNRS, confirment que les racines perçoivent l’environnement immédiat, qu’il s’agisse de la proximité d’un autre individu, de la présence de nutriments ou d’eau. Cette détection repose sur des cellules spécifiques qui utilisent, pour relayer l’information, des signaux électriques certes plus lents que chez les animaux, mais amplement assez efficaces pour ajuster la réaction de la plante.

Des découvertes récentes de Monica Gagliano et Richard Karban suggèrent que les plantes ont la mémoire de leurs expériences : soumises à un même stress, elles adaptent leur comportement lors d’une nouvelle exposition. Ce souvenir, il n’est ni émotion ni conscience, leur permet une réponse plus ajustée la fois suivante. On ose aujourd’hui parler d’intelligence végétale, non pour décrire un esprit, mais une capacité à intégrer l’expérience et conditionner sa réaction future.

Pour mesurer jusqu’où va la finesse de perception des plantes, voici ce que les études ont mis en évidence :

  • Détection de la lumière et recherche constante de meilleures sources, adaptant leur orientation à l’ombre ou au soleil
  • Décodage des signaux biochimiques venant de micro-organismes ou d’autres plantes
  • Activation de réponses rapides face à une blessure ou même à un léger frottement

Cela rebat les cartes des classifications établies et invite à repenser la vie des végétaux sous un angle d’interaction continue et de métabolisme réactif.

Des signaux chimiques aux réseaux souterrains : la communication végétale en action

Pousser en silence ne veut pas dire rester coupé du monde. La plante reçoit, transmet, diffuse. C’est tout un langage fondé sur des substances volatiles, des flux électriques ou un intense trafic souterrain. La lavande, par exemple, attaquée par un parasite, relâche dans l’air des molécules senties par tous ses voisins immédiats, déclenchant chez eux une réaction en chaîne : changement de métabolisme, renforcement des défenses, gestion ciblée des ressources.

Sous terre, le « wood wide web », c’est le réseau tentaculaire formé par les mycorhizes, des champignons filamenteux qui relient racines et microbes. Ce système assure une circulation de nutriments, de messages d’alerte, parfois même de substances capables de calmer la concurrence entre espèces voisines. Sa forme, son intensité, varient selon les espèces, la qualité du sol ou la densité de la forêt. Les observations menées par André Selosse et diverses équipes de recherche l’attestent : ces connexions s’ajustent en temps réel, modelant une intelligence collective sans intention consciente mais d’une efficacité éprouvée.

Voici plusieurs mécanismes concrets, bien documentés, de cette communication :

  • Emissions de signaux d’alerte lors d’une attaque d’insecte pour prévenir la communauté voisine
  • Echanges de nutriments, parfois d’un arbre à un autre d’une espèce différente, pour équilibrer la ressource globale
  • Production de molécules dans le sol pour ralentir ou empêcher la germination de voisines trop conquérantes

Il ne s’agit pas d’une copie du langage animal, mais d’une organisation ancienne et sophistiquée qui remonte aux origines du vivant. Tous les ans, les avancées scientifiques continuent d’enrichir la connaissance des passerelles invisibles qui jalonnent le monde végétal. Les frontières s’estompent à chaque nouvelle découverte.

plantes  environnement

Ce que la recherche nous révèle sur l’intelligence des plantes

Depuis des années, des scientifiques de tous horizons s’efforcent de briser le tabou : oui, la plante dispose d’une intelligence à sa mesure. Stefano Mancuso, Bruno Moulia, Monica Gagliano, André Selosse, tous ont contribué à mettre à mal l’image du végétal passif. Les grandes revues internationales publient aujourd’hui des articles sur la capacité d’apprentissage des plantes, leur aptitude à ajuster leur comportement en fonction du contexte, à inventer des réponses inédites lorsque les conditions l’exigent.

A l’université d’Utrecht, des racines qui font face plusieurs fois au même obstacle finissent par s’adapter plus vite, changeant d’itinéraire au fil des essais. Désormais, les spécialistes n’hésitent plus à parler d’apprentissage. Les réflexions engagées par Michel Thellier ou Jacques Tassin sont claires : la plante ne pense pas, mais elle mémorise, encode, ajuste en temps réel.

De l’autre côté de l’Atlantique, les chercheurs de la Washington State University ou du Wisconsin ont également montré que des défenses modifiées apparaissent chez les plantes qui subissent, à répétition, le même type de menace. Cette plasticité comportementale donne à voir un règne végétal plus subtil, où sensibilité et adaptation se mêlent sans fil conducteur centralisé. Impossible désormais de voir une forêt ou une prairie comme une simple collection de formes vertes et silencieuses, il s’y joue une partition lente, tissée d’attentions, d’attentes, de réactions partagées. Un jeu collectif à l’échelle du paysage, largement invisible, mais bouleversant pour notre façon de penser le monde vivant.

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